Chaîne [logique] alimentaire de l’Homme mondialisé
Pour
que ce quelconque
Distributeur
automatique
Me
délivre ce café
Que
d’un geste instantané
Je
porte à mes lèvres asséchées :
Il
a fallu un gobelet, et donc du plastique, extrudé et moulé dans une
vallée alpine qui suite aux plans de restructuration de la
sidérurgie s’est spécialisée dans la plasturgie, fabriqué à
partir de pétrole transporté par un supertanker qui a échappé de
justesse aux pirates de Somalie dans le Golfe Persique en cette zone
où des hommes se spécialisent dans la piraterie car les plans
d’ajustement structurel du FMI ont diminué les soutiens publics à
l’agriculture ce qui a chassé les paysans de leurs terres, partis
grossir les rangs des déshérités affluant vers les villes en
renforçant l’armée des pêcheurs sans poissons privés des
produits de l’exploitation de la mer par les concessions de pêche
accordées par leur gouvernement à des navires étrangers
super-équipés qui accaparent toute la ressource halieutique. Avant
cela, il avait fallu verser des pots de vin aux gouvernements des
pays producteurs de pétrole pour qu’ils ferment les yeux sur le
pillage de leurs ressources, tout en finançant des mouvements
islamistes afin qu’ils canalisent la révolte de leur peuple écœuré
que la manne pétrolière ne bénéficie qu’à quelques-uns et qui
se trouve frappé de plein fouet par l’augmentation des prix du
pain consécutive aux engagements pris dans la lutte contre l’effet
de serre par les pays développés qui en favorisant la culture des
oléagineux au détriment des céréales renchérissent leur prix...
Il
a fallu du sucre, de betteraves sucrières venues de Picardie qui
avaient passé tout l’hiver sous terre, sous un permanent et lourd
ciel gris couleur de plomb dans l’humidité, le froid et les
pesticides.
Il
a fallu une petite cuillère en plastique, de la même matière que
le gobelet mais issue d’un pétrole de qualité inférieure que
l’on extrait dans les tourbières de sables bitumineux du Canada
oriental, qui endommage considérablement l’environnement si l’on
considère qu’il faut quatre tonnes de sables pour produire un
unique baril de brut.
Il
a fallu le café, venu du Vietnam : un café étiquetable mais non
équitable, de type Robusta, provenant de ce nouveau producteur
devenu le deuxième du monde en développant une politique agressive
suite aux recommandations de la Banque Mondiale dans les années 80
visant à supplanter les plantations millénaires de riz par celles
de café ce qui a réduit la production de riz et fait augmenter son
cours avec pour effet d’affamer le Bangladesh voisin dont c’est
l’alimentation principale, production de café somme toute contre
nature et que rejettera à terme la nature mais peu importe lorsque
les papilles de l’Occident ne voient pas la différence.
Il
a fallu de l’eau et pour cela que le soleil brille sur la mer à
l’équateur et fasse s’évaporer l’eau qui en montant vers le
ciel est devenue vapeur et nuages qui portés par les vents provoqués
par les différences de pressions résultant des différences
d’ensoleillement ont glissé vers l’Europe occidentale où ils se
sont heurtés aux montagnes, puis en s’élevant pour les dépasser
sans y parvenir ont crevé en pluie dont l’eau a ruisselé dans des
ruisseaux qui font les grandes rivières qui se sont infiltrées dans
les failles de la terre et sont passés devant des fresques murales
préhistoriques pas encore découvertes par un gamin désœuvré puis
sont réapparues à des kilomètres de là pour finir dans le grand
fleuve et en aval, dans une station d’épuration qui l’a purifiée
et conduite vers le château d’eau qui l’a mise sous pression
pour être canalisée vers l’arrivée d’eau légèrement
entartrée de ce distributeur de boissons chaudes.
Il
a fallu la pièce de monnaie que j’ai inséré, frappée du bon
coin dans une province française reculée dans une entreprise
centenaire qui ne s’est pas retrouvée en dépôt de bilan lors du
passage à l’euro grâce à la bienveillance du gouvernement pour
l’emploi dans les zones rurales, qui a négocié au niveau européen
que la fabrication des nouvelles pièces ne serait pas centralisée
et délocalisée ce qui, avec les différentiels de salaires en
faveur des pays d’Europe de l’Est aurait pourtant été frappé
du bon coin du bon sens, arguant que l’on tienne compte du
savoir-faire de frappe de la monnaie dans la vieille Europe.
Il
a fallu qu’une machine rassemble ces éléments minéraux et
organiques, elle-même montage d’éléments disparates résultat
des hasards de la mondialisation mais dont on sait seulement qu’elle
est fabriquée en Italie du Nord dans une petite entreprise héritée
de grand-père qui a su résister aux délocalisations en innovant
continûment et dont le patron vote pour la Ligue du Nord car il
trouve qu’il paye trop d’impôts pour « Rome la voleuse » et
pour ces immigrés qu’il n’hésite pourtant pas à embaucher sans
être trop regardant sur leurs papiers pour faire le boulot du
nettoyage des cuves contenant des produits chimiques et autres
galvanisants…
Ainsi,
en appuyant sur son bouton,
D’un
geste irréfléchi et insouciant,
Tous
ces lointains événements
Se
sont rejoints à mes lèvres,
Comme
l’aurait fait une hostie,
Avant
de se séparer à nouveau.
Et
moi, indifférent, négligemment
J’ai
jeté le gobelet dans la poubelle…
Il
y a un siècle l’être humain
Était
pur produit de son terroir
Qui
le nourrissait de son lait,
Appellation
d’Origine Contrôlée.
Mais
les molécules qui nous composent
De
plus en plus se mondialisent
Et
je me sens perdu,
autant
qu’un pied de vigne de Bordeaux
Grandissant
sous le soleil californien.
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