Complainte du regret (A Boris Vian)
Autrefois pour faire sa cour
On faisait des yeux de velours.
Maintenant c’est plus pareil,
Ça change, ça change,
Pour séduire le cher ange
On branche son appareil
Et on le glisse à l’oreille
D’abord, c’est entendu, on pense au téléphone
Mais il faut pour appeler avoir du crédit
Auprès de celle-là qu’en secret l’on chérit
Pour que sans faire un numéro elle le donne.
On lui adresse un mail, l’écrit c’est plus formel !
Mais il faut même pour ces rapports textuels
Se préserver d’intrus, ces virus virtuels,
Sourdes séquences aux conséquences si réelles.
Nourris d’intimes mots qui la font bien vibrer
Et de si secrets pactes
Qu’elle seule les capte.
Qui sur nos écrans vient frapper comme un facteur
Même dans les moments où l’on a un amant,
La fenêtre s’ouvre aux dialogues de l’instant,
De communication piètres succédanés
Comme l’instantané l’est pour le vrai café.
On allume sa cam
Pour voir ce qui se trame
Et lui montrant la came,
Faire qu’elle se pâme.
Tout comme des drones de soi que l’on envoie,
Ces outils de persuasion si désarmants
À la disposition des modernes amants
Sont de vrais moyens de projection extérieure,
Pour de sa belle occuper le terrain du cœur
Et faire en sorte qu’il ne batte que pour soi.
Qui visent au cœur la cible, tant convoitée !
Par l’envoi dans le ciel de missives solaires
Dont le contenu peut s’avérer terre-à-terre,
Rarement tactique et encore moins stratégique,
Faites en brut matériau, guère psychologique.
Pour parer le risque où, sans nouvelles laissée,
La belle désirée se croirait délaissée
Et alors, qui sait, pourrait bien nous oublier.…..
Mais attention, car elle en restant à distance
Et virtuelle ainsi, malgré toutes ces avances,
Conserve sa vertu intacte et inaltérable
Et à celui-là qui éprouve un petit faible,
Effrontée, du haut donjon de son château-fort,
De ne rien lui céder pourrait...se faire fort !
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